Une épreuve orale de DGEMC
Depuis quelques années nous retrouvons à l'épreuve orale des élèves qui choisissent des thèmes (plus ou moins bien abordés et documentés) consacrés au droit des animaux.
Pour les collègues qui souhaiteraient aborder ce thème et donner des indications à leurs élèves, trois ouvrages intéressants (le 1er est facile d'accès, les suivants plus denses font une large part aux aspects historiques et philosophiques).
Bonnes lectures d'été à tous.
1) Le droit animalier
Un ouvrage de Florence Burgat, Jacques Leroy, Jean-Pierre Marguénaud aux Presses Universitaires de France (9 mars 2016)
Faut-il faire du droit animalier une discipline à part entière ? Ce qui pourrait être considéré comme un pan du droit environnemental est sur le point aujourd’hui de voler de ses propres ailes, poussé par des sociétés de plus en plus enclines à considérer les animaux dignes de justice.
Retracer l’histoire de ce droit animalier, qui régit l’encadrement des animaux tant pour s’en prémunir que pour les protéger, c’est glisser de l’anthropocentrisme à l’urgence contemporaine de la préservation de la biodiversité, de l’«?animal-machine ?» de Descartes aux « êtres vivants doués de sensibilité ? » de la loi française du 16 février 2015. Cette prise en compte croissante dans la sphère juridique d’un « droit des animaux ? » théorique implique aujourd’hui la nécessité de repenser un rapport des hommes aux animaux non plus fondé sur l’hostilité et la méfiance, mais sur la prévention et la protection des uns et des autres.
Devant la révolution que la soudaine mise en lumière du droit animalier a instaurée ces dernières années, cet ouvrage fait le point sur l’état de ce nouveau droit à travers les sources et les décisions de justice, et plaide pour la reconnaissance d’une discipline qui affecte déjà tous les autres pans du droit.
2) Comme des bêtes
Un livre de Pierre Serna aux Éditions Fayard
La Révolution française a créé, sur les ruines de l’Ancien Régime, une nouvelle communauté politique composée de citoyens égaux. Dès lors, quelle place devaient y occuper les animaux, si nombreux dans les villes et les campagnes ? Avaient-ils eux aussi des droits ? Pouvait-on continuer à les domestiquer et les manger ? Étaient-ils des « sous-citoyens » à protéger ou une ressource à exploiter pour la nation ?
Dans un livre profondément novateur, fruit de nombreuses années de travail, Pierre Serna montre l’importance politique des animaux en Révolution. La police parisienne s’efforçant d’en limiter les dangers, les responsables de la ménagerie du Jardin des plantes désirent en faire un spectacle civique, pédagogique et républicain, tandis qu’agronomes et savants engagent d’ambitieuses réformes de l’élevage. Surtout, la question de l’animalité est au cœur des débats révolutionnaires. On découvrira des plaidoyers radicaux pour le régime végétarien, des projets parfois utopiques de citoyenneté animale, mais aussi l’émergence d’un racisme savant, qui instrumentalise les découvertes sur les grands singes pour mieux animaliser les esclaves noirs, et s’opposer à leur émancipation.
Pierre Serna est professeur d’histoire de la Révolution française à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et membre de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Il a publié et édité de nombreux livres sur la Révolution, notamment La république des girouettes. 1789-1815 et au-delà. Une anomalie politique : la France de l’extrême centre (Champ Vallon, 2005).
3) L'animal en République,1789-1802
Genèse du droit des bêtes de Pierre Serna, Toulouse, Anacharsis, 2016,
Résumé : Pierre Serna décortique les résultats d'une enquête menée en 1802 sur le droit des animaux. Ce sont les échos de la Terreur qui résonnent dans ces prémices de réflexion sur la cause animale et les enjeux naissants d'une écologie républicaine.
À la façon des Académies du XVIIIe siècle, la tradition d'interroger la société perdure après 1789. Un concours sur le droit des animaux est ainsi organisé en 1802 sous le Consulat de Bonaparte, tandis que ce dernier rétablit la légalité de l'esclavage. L'Institut de France pose aux citoyens la question suivante : « Jusqu'à quel point les traitements barbares exercés sur les animaux intéressent-ils la morale publique ? Et conviendrait-il de faire des lois à cet égard ? » Vingt-huit essais répondant à ce questionnaire sont envoyés à Paris. Un seul a été perdu. Voici donc, comme le souligne Pierre Serna, l'un des meilleurs spécialistes de la Révolution française, « une photographie des plus originales, parfois convenue aussi, des attitudes et des représentations d'une société face au monde animal ». Certes, ces documents ont été découverts et étudiés il y a trente ans par le sociologue Valentin Pelosse. Mais ils sont relus ici à nouveau frais, sous l'angle de l'histoire du politique.
L'affaire est étonnante. Dans un contexte où la république a révolutionné les droits des hommes et où des menaces se précisent contre les libertés fondamentales, l'Institut se pose la question de savoir pourquoi la maltraitance des animaux dégrade la nature humaine, en quoi la cruauté est une négation de la sensibilité des bêtes et se demande comment éradiquer ces deux fléaux.
Dès l'introduction, Pierre Serna pose le fond du problème : alors que la société française se rappelle le temps des exécutions nombreuses, des actes disproportionnés, des « boucheries », certains se complaisent aux sanglants combats d'animaux, d'autres les brutalisent, d'autres enfin, à rebours, ne supportent plus la vision de tueries d'animaux dans les grandes villes. A travers les animaux, il s'agit en fait de s'interroger sur la violence des hommes.
L'auteur dresse la liste des rédacteurs de mémoires : parmi eux, trois étrangers, quatorze provinciaux. Il y a trois abbés, trois professeurs, trois hommes de loi, deux militaires, un homme de lettres, un haut fonctionnaire, un chirurgien et un érudit local. Certains sont connus : Gérusez, le juriste bourguignon, le républicain Salaville, et Jean-Baptiste Maugras, prêtre et professeur de philosophie. Bref, des acteurs de second rang de la République des lettres, mais fort utiles pour pénétrer cette France du Consulat.
Trois grands thèmes se dégagent de ces mémoires. D'abord, la reconnaissance de l'animal comme être sensible. En conséquence, ce dernier ne peut être un seul bien meuble. Se faufile le fantôme de Descartes - contre lequel s'insurgent la plupart des essais -, qui considérait au XVIIe siècle l'animal comme une machine animée, sans conscience et privé d'intelligence nerveuse permettant la compréhension de la douleur. Certains textes critiquent la civilisation européenne : ne faut-il pas imiter l'Inde, où les relations entre l'homme et l'animal sont pacifiées ? Domine l'idée que les traitements subis par les animaux résultent d'un processus historique complexe.
Ensuite vient le discours sur la morale. Trois catégories de personnes reviennent comme une antienne : les enfants (pour leur cruauté), les bouchers (pour leur violence) et les chasseurs. Selon Pierre Serna, ces figures cachent en fait « un seul et unique homme, le révolutionnaire, le sans-culotte débraillé ». En 1802, la Terreur ne passe toujours pas. La Révolution a ruiné l'ordre politique, floutant la distinction entre l'humain et l'animal, certains étant devenus moins que des bêtes. « La cause des animaux maltraités, écrit Pierre Serna, devient un puissant révélateur d'un imaginaire social en train de construire son passé immédiat en une catharsis de l'effroi ».
Ce que révèle l'auteur, c'est que la plupart des mémoires exposent sans fard leur tournure religieuse, avec une solution résolument catholique pour sortir du chaos engendré par la Révolution. L'Église doit s'attaquer à la question du peuple sauvage torturant les bêtes. Avec un élargissement à l'environnement qu'il faut protéger. Voilà bien la « protohistoire d'un mouvement catholique vert ». Beaucoup des participants au concours, loin d'avancer des arguments rationnels, matérialistes, ou issus de Condillac (auteur en 1755 d'un Traité des animaux), n'ont pas recours à une pensée républicaine ni à des arguments démocratiques pour répondre à la question. Ils puisent au contraire leurs idées dans une éthique d'avant-1789 et dans une morale chrétienne régénérée. Comme si la pensée républicaine de la bonté, de l'équité, de la civilité, du civisme, de la sociabilité réinventée, de l'humanité et de la bienfaisance, dans un régime séparé des Églises depuis 1795, avait finalement peu pénétré les groupes de « fabricants de l'opinion publique ». Ainsi, en 1802, la France est loin d'être républicanisée.
Mais comment protéger les animaux de la violence ? Faut-il légiférer ? Dix mémoires répondent que non. À quoi sert de voter des lois si personne n'y obéit ? L'éducation doit primer sur la législation. L'essentiel est de réformer les mœurs : le salut des bêtes ne peut passer que par le règlement du savoir-vivre des humains entre eux. Ayant acquis des mentalités républicaines, ils ne maltraiteront plus les animaux. Certains s'appuient sur les préceptes évangéliques, d'autres sur une philosophie civique du stoïcisme. Il faut proscrire les combats d'animaux. De plus, l'animal, pour sa protection, comme tout un chacun, ne doit-il pas aussi bénéficier d'une bonne police de rue ?
Mais ce n'est pas tout. Quelques essais sont visionnaires, saisissant l'enjeu d'une écologie républicaine. La société est pensée globalement, réévaluée en fonction d'une relation respectueuse entre l'homme et l'animal. La vie de l'humanité est dépendante du monde animal, dont l'homme est responsable. Sont dénoncées la prédation coloniale, la destruction de l'environnement et de la chaîne alimentaire par la liquidation d'espèces entières. Le végétarisme est aussi évoqué dans onze mémoires et, dans un chapitre magistral, Pierre Serna expose comment le « végétarianisme » est perçu comme une ultime révolution à accomplir.
En 1850, par la loi Grammont, la violence faite aux animaux était enfin prise en compte. Mais ce n'est que depuis le 28 janvier 2015 que le Code civil stipule que « l'animal est un être vivant doué de sensibilité ». Pierre Serna décrit bien ici cette préface lucide à nos inquiétudes contemporaines.
À propos, qui gagna la médaille d'or de 5 hectogrammes promise à l'auteur du meilleur mémoire ? On laissera au lecteur de cette magnifique étude (mais malheureusement sans index) le soin de le découvrir. D'autant que la surprise est de taille… et pleine de sens politique