Quatre arrêts rendus le 15 février 2022

Par quatre arrêts rendus le même jour à propos des attentats de Nice, de Marseille et de l’assaut de Saint-Denis, la chambre criminelle prend en compte les spécificités propres aux attentats terroristes pour élargir la notion de partie civile en matière de terrorisme.

Article de Dorothée Goetz, Docteur en droit publié sur : https://www.dalloz-actualite.fr/flash/terrorisme-elargissement-de-notion-de-partie-civile

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En matière de lutte contre le terrorisme, le législateur renforce régulièrement son arsenal législatif pour l’adapter à un terrorisme malheureusement de plus en plus protéiforme et imprévisible (Jean-Baptiste Perrier et François Rousseau, L’adaptation au droit de l’Union européenne, RSC 2018. 538 ; Jean-Pierre Marguénaud, La régression des garanties procédurales conventionnelles face aux exigences de la lutte contre le terrorisme, RSC 2017. 130). La jurisprudence rendue en cette matière est-elle aussi particulièrement intéressante, comme l’illustrent ces quatre arrêts rendus le 15 février 2022 par la chambre criminelle à propos des attentats de Nice, de Marseille et de l’assaut de Saint-Denis.

L’intérêt majeur de ces arrêts concerne les conditions de recevabilité de la constitution de partie civile en matière terroriste. La particularité de l’action civile exercée devant les juridictions répressives est qu’elle met en mouvement l’action publique, à supposer qu’elle ne l’ait pas déjà été par le ministère public ou une autre victime. Elle a donc un double effet, d’abord civil, pour servir de support à la réparation du dommage causé par l’infraction, ensuite répressif, pour engager le procès pénal (v. Rép. pén., v Action civile, par C. Ambroise-Castérot). Ce « double visage » en fait une action très efficace, puisque, par la même initiative, c’est doublement que la victime fait valoir ses droits en termes d’indemnisation et de répression. En revanche, lorsqu’elle est seulement portée devant la juridiction civile, l’action civile reste de nature réparatrice, sans aucune incidence sur la dimension pénale des faits à l’origine du dommage. Tirés des articles 3 et 4 du code de procédure pénale, ces principes classiques de droit pénal général ont été bouleversés en matière terroriste par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. L’article 64 de cette loi a en effet confié au tribunal judiciaire de Paris une compétence exclusive pour connaître, en matière civile, de tous les litiges liés à l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, mettant ainsi fin à la compétence du juge pénal pour se prononcer lui-même sur l’action civile en réparation du dommage causé par de tels actes.

Les conséquences de ce texte ne sont pas négligeables puisque dorénavant l’action civile exercée devant le juge pénal est privée de toute portée réparatrice et indemnitaire, ne lui laissant à l’avenir qu’une portée répressive (Mickaël Bendavid, La matière terroriste dans la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, AJ pénal 2019. 192). Mais encore faut-il que cette action soit recevable, ce qui passe par la double condition que le dommage invoqué pour en soutenir le principe soit, dans les termes de l’article 2 du code de procédure pénale, personnel et direct. C’est précisément sur cet aspect que ces arrêts viennent à leur tour apporter de nouvelles précisions. Par le passé, a par exemple été jugée irrecevable une constitution de partie civile intervenante, pour un attentat commis en Iran, du chef d’association de malfaiteurs en France en vue de préparer des actes de terrorisme, alors qu’aucune circonstance ne permettait d’admettre comme possible la relation directe des préjudices allégués avec les infractions poursuivies (Crim. 17 juin 2008, n° 07-80.339 P, Dalloz actualité, 1er juill. 2008, obs. C. Giraud ; D. 2008. 1903, obs. C. Girault ; ibid. 2757, obs. Jean Pradel). En l’espèce, ces arrêts viennent élargir la notion de partie civile en matière terroriste. Précisément, dans le cadre de l’attentat de Nice perpétré le 14 juillet 2016, la Cour de cassation adopte une conception élargie de la notion de victime, ce qui lui permet de reconnaître la qualité de partie civile à deux personnes qui n’ont pas été visées directement par l’attentat. C’est le cas d’une femme qui, entendant des cris et des coups de feu le soir du 14 juillet 2016, a sauté sur la plage, en contrebas de la promenade des Anglais, et s’est blessée. Elle n’a pas été heurtée par le camion, n’a pas eu à l’éviter. Mais, pour la Cour de cassation, cette femme a pensé, légitimement, être en danger. Ce faisant, sa tentative de fuite est perçue comme indissociable de l’acte terroriste. C’est également le cas d’un homme qui a voulu neutraliser le conducteur en poursuivant le camion et qui a subi un dommage en cherchant à interrompre l’attentat. Adoptant la même logique, la chambre criminelle considère à propos de l’attentat de Marseille que peut se constituer partie civile devant le juge d’instruction la personne ayant tenté de maîtriser le terroriste qui poignardait une femme sur le parvis de la gare Saint-Charles et ayant subi un traumatisme psychique important.

Ces arrêts sont importants, car ils semblent être les témoins d’une nouvelle conception de la partie civile en matière terroriste. Les implications pratiques sont nombreuses et en se fondant sur ces arrêts d’autres personnes qui ont cherché à appréhender les auteurs d’un attentat ou qui se sont blessées en cherchant à éviter un attentat vont peut-être pouvoir se constituer partie civile.

Au sujet de l’assaut de Saint-Denis, la Cour de cassation casse en revanche la décision de la cour d’appel et déclare la constitution de partie civile des locataires, des propriétaires, du syndicat de copropriétaires et de la commune irrecevable. Elle considère en effet que ni les dégâts matériels subis lors de l’assaut par les locataires, les propriétaires et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble ni le préjudice d’image invoqué par la commune de Saint-Denis ne résultent directement du recel de malfaiteurs commis par le logeur. Sur ce point, la jurisprudence reste fidèle à sa position traditionnelle (Crim. 12 mars 2019, n° 18-80.911 P, Dalloz actualité, 20 mars 2019, obs. Dorothée Goetz ; D. 2019. 591 ; AJ pénal 2019. 396, obs. Caroline Lacroix ; AJCT 2019. 302, obs. Jérôme Lasserre Capdeville ; Gaz. Pal. 2019. 1278, obs. C. Berlaud ; ibid. sept. 2019 [3], p. 54, obs. F. Fourment).